Comment gérer un naufrage d'ampleur ?

Ces dernières années, les Sauve­teurs en Mer ont tiré de multiples ensei­gne­ments des inter­ven­tions sur les embar­ca­tions de fortune de migrants, qui sont parfois très nombreux à bord. Si elles ont notam­ment conduit à la mise en place d’une forma­tion dédiée au sauve­tage de nombreuses victimes, ces situa­tions permettent aussi d’en­tre­voir les limites des dispo­si­tifs exis­tants. Que se passe­rait-il s’il fallait secou­rir des milliers de personnes sur un bateau de croi­sière en perdi­tion ou d’un avion contraint d’amer­rir ? Réponse étape par étape.

Le "Costa Concordia" couché dans l'eau derrière des canots de sauvetage
Naufrage du "Costa Concordia" au large des côtes italiennes en janvier 2012 © Rvongher

Dix mille personnes dans le même bateau. L’Icon of the Seas, futur plus grand paque­bot au monde lorsqu’il sera mis à l’eau l’an­née prochaine, est une véri­table ville flot­tante. Ses « petits » frères, le Wonder of the Seas et le Symphony of the Seas, construits par Chan­tiers de l’At­lan­tique à Saint-Nazaire, peuvent embarquer plus de neuf mille personnes, équi­page compris. Le rêve des vacan­ciers qui s’y prélassent entre les États-Unis et les îles des Caraïbes. La hantise des services de sauve­tage en mer.

Après le drama­tique acci­dent du paque­bot de croi­sière Costa Concor­dia au large des côtes italiennes, avec quelque quatre mille personnes à bord en janvier 2012 (voir encart ci-dessous), on pouvait craindre que le dispo­si­tif de sauve­tage en mer de la France ou de tout autre pays soit confronté un jour à une situa­tion simi­laire. En fait, ce sont les nombreuses fortunes de mer des migrants en Médi­ter­ra­née, puis dans la Manche, qui sont venues rappe­ler la diffi­culté de récu­pé­rer un nombre impor­tant de personnes en mer.

S’il n’y a pas autant de passa­gers sur ces pneu­ma­tiques que sur un paque­bot, la problé­ma­tique est fonda­men­ta­le­ment la même : comment gérer la panique et secou­rir de très nombreuses personnes ? Preuve que le sujet inter­pelle : au mois de juin dernier, le congrès de l’In­ter­na­tio­nal Mari­time Rescue Fede­ra­tion (IMRF, Fédé­ra­tion inter­na­tio­nale de sauve­tage en mer), à Rotter­dam, a consa­cré une session au sauve­tage de migrants. SOS Médi­ter­ra­née, ONG recon­nue pour avoir forma­lisé les bonnes pratiques du sauve­tage de masse, y a présenté ses méthodes. La SNSM n’est pas en reste : elle a créé la forma­tion Novi­mar pour nombreuses victimes mari­times. S’ins­pi­rant aussi de l’ex­pé­rience des Sauve­teurs en Mer en Manche, elle permet d’ac­qué­rir de grands prin­cipes sur les inter­ven­tions où il faut secou­rir de grands groupes. C’est dans ce cadre que, pendant quatre jours cet été, à la base navale de Cher­bourg, trois sauve­teurs forma­teurs de la SNSM ont partagé cette expé­rience et les tech­niques des nageurs de la SNSM avec une ving­taine de stagiaires de diverses prove­nances : Sauve­teurs en Mer, mili­taires, doua­nes…

Car, en cas de naufrage d’un ferry ou d’amer­ris­sage en urgence d’un avion, tous les services de secours seront solli­ci­tés et devront travailler ensemble. En France, c’est le but du plan ORSEC mari­time et des grands exer­cices mis en place par les préfec­tures mari­times pour orga­ni­ser les sauve­tages de masse.

Les fortunes de mer des migrants en Méditerranée, puis dans la Manche, sont venues rappeler la difficulté de récupérer un nombre important de personnes.
Formation à la base navale de Cherbourg
Lors d’une forma­tion à la base navale de Cher­bourg cet été, des sauve­teurs s’en­traînent à secou­rir plusieurs personnes à la fois pour les cas de naufrage de grande ampleur © Jean-Claude Hazera

Un sauve­tage de masse, c’est combien de personnes ?

Certes, les naufrages de paque­bots ou de ferrys sont rares par rapport au nombre de personnes trans­por­tées et les navires sont de plus en plus sûrs. L’Or­ga­ni­sa­tion mari­time inter­na­tio­nale (OMI) impose régu­liè­re­ment de nouveaux stan­dards dans le cadre de la conven­tion Safety of Life at Sea (SOLAS, ou sauve­garde de la vie humaine en mer), large­ment inspi­rée par les mauvaises expé­riences.

Les navires à passa­gers sont parti­cu­liè­re­ment contrô­lés dans les ports français et euro­péens, atteste Pierre-Antoine Rochas, respon­sable sécu­rité, sûreté et ports chez Arma­teurs de France. Avec une coor­di­na­tion euro­péenne et un système de nota­tion pour contrô­ler la prise en compte des remarques. Néan­moins, le risque zéro n’existe pas. D’au­tant que l’er­reur est humaine et explique bien des catas­trophes.

Chez les Coast Guards – les sauve­teurs en mer améri­cains –, un offi­cier, Thomas Gorgol, réflé­chit depuis des années à la problé­ma­tique du sauve­tage de masse. Toute la diffi­culté, souligne-t-il, est de se tenir prêts à une éven­tua­lité qui ne doit pas se produire, mais qui peut se produire. C’est le cygne noir. L’im­prévu catas­tro­phique. À partir de combien de personnes peut-on parler de « sauve­tage de masse » ? « Quand les moyens habi­tuels des sauve­teurs sont dépas­sés  », répond-il. Cinquante, soixante naufra­gés, c’est la limite pour les plus grands navires des Sauve­teurs en Mer.

Anti­ci­per, orga­ni­ser

Au-delà des moyens stan­dards, on devrait donc faire colla­bo­rer excep­tion­nel­le­ment quan­tité de navires, d’aé­ro­nefs et de corps de métiers et insti­tu­tions diffé­rents, en mer et à terre. Voire faire appel aux pays voisins. Risques de cafouillages évidents. Il faut donc, souligne Thomas Gorgol, avoir anti­cipé pour « le jour où » : quels orga­nismes pour­raient être mobi­li­sés, qui comman­de­rait, où et comment se passe­raient les concer­ta­tions, quels seraient les canaux de commu­ni­ca­tion ? Et, pour tester le tout, il faut orga­ni­ser des exer­cices.

Un exemple parmi d’autres, celui du 6 octobre 2021, simu­lant l’amer­ris­sage d’un avion de ligne au large de Port-Vendres (Pyré­nées-Orien­tales), avec parti­ci­pa­tion de l’Es­pagne et de l’Ita­lie, et poste médi­cal avancé sur un remorqueur de haute mer. Cet exer­cice a servi à consta­ter un progrès : le système de brace­lets SINUS (système d’in­for­ma­tion numé­rique stan­dar­disé) permet désor­mais de bien « conso­li­der » une liste de victimes commune, le grand souci étant de comp­ta­bi­li­ser tout le monde et qu’il n’y ait pas de doublons ni d’ou­blis. Il s’est aussi heurté à une limite. Au-delà d’un vent force 5 (plus de 38 km/h), les trans­bor­de­ments de nombreux resca­pés d’une embar­ca­tion à une autre deviennent dange­reux.

Et une fois les secours orga­ni­sés, que faire ?

Ne pas évacuer

La première « solu­tion » – commu­né­ment admise – est de main­te­nir les passa­gers à bord autant que possible. C’est souvent l’éva­cua­tion qui est source des pires problèmes. « Le navire est le meilleur canot de sauve­tage  », affirme Thomas Gorgol. Cet été, le navire de croi­sières arctiques Ocean Explo­rer s’est échoué dans un fjord du Groen­land. Les passa­gers ont attendu trois jours à bord avant que l’on parvienne à le déga­ger. En février 2012, le Costa Alle­gra a été privé de sa propul­sion en plein océan Indien par un incen­die. À la demande des auto­ri­tés, Alain Dervout – l’ac­tuel patron de la station de Trévi­gnon – Concar­neau, alors capi­taine d’un grand thonier océa­nique – est allé le remorquer jusqu’à Mahé, la capi­tale des Seychelles. Les mille passa­gers sont restés à bord. Le long des côtes de la Métro­pole, les remorqueurs de haute mer à dispo­si­tion des préfets mari­times pour­raient jouer un rôle clé dans le cadre du dispo­si­tif ORSEC mari­time. Traduc­tion de ce prin­cipe par l’OMI : tous les bateaux dont la construc­tion a commencé à partir de 2010 doivent pouvoir assu­rer le retour à terre en cas d’ac­ci­dent.

La redon­dance des équi­pe­ments (même la passe­relle de comman­de­ment), les moyens d’iso­ler les diffé­rentes sections et l’exis­tence d’un abri de sécu­rité pour les passa­gers (notam­ment par rapport au feu et aux fumées toxiques) doivent rendre possible le retour du bateau jusqu’à un abri, de préfé­rence par ses propres moyens. Mais si un feu est diffi­cile à maîtri­ser, s’il y a des bles­sés, que faire ?

Envoyer des secours à bord

Sans évacuer, on peut, toujours dans le cadre du plan ORSEC mari­time, envoyer de l’aide à bord. En France, navires de sauve­tage et héli­co­ptères peuvent être requis par les centres régio­naux de surveillance et de sauve­tage (CROSS), agis­sant sous l’au­to­rité de la préfec­ture mari­time, qui coor­donnent les secours, pour dépo­ser à bord pompiers, méde­cins ou infir­miers spécia­le­ment entraî­nés et orga­ni­sés.

Le capi­taine de frégate David Gaidet, chef des opéra­tions au bataillon des marins-pompiers de Marseille, est aussi le réfé­rent de la capa­cité natio­nale de renfort pour les inter­ven­tions à bord des navires : une force d’in­ter­ven­tion dont la créa­tion n’est pas étran­gère au « choc Costa Concor­dia  ». « En cas de sinistre ou d’at­ten­tat, nous devons mettre à dispo­si­tion, en deux heures, quarante pompiers du bataillon de Marseille, d’autres ports et des pompiers du Pas-de-Calais, avec leur maté­riel et la capa­cité de les rele­ver si l’in­ter­ven­tion dure, précise-t-il. Ceci sans mettre en péril la capa­cité des secours dans les zones de prove­nance de ces inter­ve­nants. »

« Couteau suisse » des orga­ni­sa­teurs du sauve­tage, ces hommes et femmes doivent faire du secou­risme, lutter contre des feux compliqués et, parfois, exper­ti­ser des situa­tions dange­reuses. Exemple en octobre 2018 : le navire roulier tuni­sien Ulysse s’en­castre dans le porte-conte­neurs chypriote CLS Virgi­nia, au mouillage au nord du Cap Corse, en pleine mer. Peut-on sépa­rer les deux coques sans déclen­cher une explo­sion ? «  Oui  », répon­dirent les pompiers après inspec­tion.

Il existe aussi, dans la pano­plie du dispo­si­tif ORSEC mari­time, une aide médi­cale proje­table en mer par quatre SAMU de coor­di­na­tion médi­cale mari­time (SCMM). Ils sont basés au Havre, à Brest, Bayonne et Toulon. L’in­fir­mier ou infir­mière est alors, encore plus que dans d’autres situa­tions, le complé­ment vital du méde­cin. Au SAMU du Havre, Vincent Hébert est infir­mier depuis près de quarante ans et respon­sable des forma­tions aide médi­cale en mer - médi­ca­li­sa­tion en milieu périlleux. Il est aussi passionné que les béné­voles du sauve­tage en mer avec lesquels il orga­nise régu­liè­re­ment des entraî­ne­ments « sur la SNS 161 », la vedette Président Pierre Huby de la station locale.

L’aide en mer est « complè­te­ment imbriquée  » dans son service de SAMU, confirme-t-il. Une ving­taine de personnes ont été formées pour être très auto­nomes, pouvoir évaluer très rapi­de­ment la situa­tion, infor­mer les respon­sables du sauve­tage et repé­rer les victimes à évacuer. «  Méde­cin-infir­mier, c’est un binôme fusion­nel  », souligne-t-il. Si le méde­cin est moins formé à la mer, l’in­fir­mier « devient moteur  », s’oc­cupe en prio­rité de la sécu­rité de son compa­gnon d’in­ter­ven­tion et le rassure.

Si on médi­ca­lise des victimes à bord, du maté­riel est vite néces­saire. Pendant notre entre­tien avec Vincent Hébert, deux infir­miers véri­fient les 800 kg du « lot mari­time » répar­tis en seize malles mili­taires. Pompiers, infir­miers et méde­cins ne sont pas spécia­le­ment entraî­nés à la gestion de la foule. Éviter les paniques est, en prin­cipe, du ressort de l’équi­page. Mais leur arri­vée peut certai­ne­ment contri­buer à rassu­rer.

Cela dit, ne pas évacuer peut finir par deve­nir impos­sible. Si l’em­bar­ca­tion coule rapi­de­ment, par exemple.

S’il faut évacuer quand même…

Les équi­pages des navires à passa­gers sont impé­ra­ti­ve­ment entraî­nés à gérer un sinistre et à orga­ni­ser et calmer les passa­gers. Chacun a un second rôle. Même le person­nel hôte­lier, qui a, par exemple, beau­coup contri­bué à l’éva­cua­tion du Costa Concor­dia. D’ailleurs, dès le début d’une croi­sière, les passa­gers doivent rece­voir des consignes, au cas où. Les exer­cices sont fréquents, y compris dans le cadre des contrôles, assure Pierre-Antoine Rochas chez Arma­teurs de France. Dans l’en­semble, nos inter­lo­cu­teurs ont plutôt une vision posi­tive du degré de prépa­ra­tion des équi­pages, sur les ferrys comme sur les paque­bots.

Sur les grands navires, les canots de sauve­tage sont toujours là, bien visibles et sécu­ri­sants. Avec leurs quali­tés : ce sont de petits bateaux capables de se dépla­cer rapi­de­ment. Et leurs défauts : mise à l’eau dange­reuse, neutra­li­sa­tion sur tout un côté du navire si celui-ci penche… S’y ajoutent de grands radeaux pneu­ma­tiques dans lesquels les passa­gers doivent glis­ser. Les grands tobog­gans, style avion, peuvent être impres­sion­nants et la récep­tion diffi­cile pour les moins agiles. De nouveaux tubes verti­caux dans lesquels la descente est frei­née sont suppo­sés remé­dier à ces incon­vé­nients.

Une fois les passa­gers évacués, comment les récu­père-t-on dans leurs diverses embar­ca­tions ? Près des côtes, par temps maniable, presque tous les bateaux peuvent servir de navette. Au large, dans la houle et le froid, c’est beau­coup plus compliqué. Certes, la soli­da­rité des gens de mer va s’ap­pliquer. Les autres grands navires proches vien­dront sur zone. Les ferrys sont déjà mis régu­liè­re­ment à contri­bu­tion en Manche, notam­ment pour casser le vent et la houle et, ainsi, faci­li­ter le travail des sauve­teurs. Pas pour embarquer des victimes.

Leur présence ne suffit pas toujours. Thomas Gorgol, l’of­fi­cier des gardes-côtes améri­cains, note qu’après le chavi­rage du ferry Esto­nia, en 1994, vingt-deux navires étaient à proxi­mité. Il n’y a pour­tant eu que 137 survi­vants sur les 989 personnes à bord. Ferrys et navires de croi­sière sont équi­pés pour évacuer des passa­gers. Pas ou trop peu pour en récu­pé­rer à l’eau (sauf au mouillage par temps calme).

C’est l’un des points que soule­vait, il y a plusieurs années déjà, FIRST Rescue, un projet de recherches des sauve­teurs en mer suédois. Comment faire pour pouvoir remon­ter les embar­ca­tions de sauve­tage d’un autre navire ? Avec une ou des grues ? Pour le moment, ce ne sont que ques­tions et idées.

Quelles qu’aient été les avan­cées, des marges de progres­sion impor­tantes subsistent donc pour les sauve­tages de masse. Espé­rons ne plus revoir ce type d’images et n’avoir à en vivre aucun, mais conti­nuons à nous prépa­rer comme s’ils devaient surve­nir demain.

Comment porter secours à de nombreuses victimes en assu­rant la sécu­rité des sauve­teurs ?

Les Sauve­teurs en Mer ont été confron­tés à de nombreux sauve­tages de masse ces dernières années, notam­ment en Manche et en mer du Nord. Ils ont déve­loppé des méthodes spéci­fiques pour y faire face.

Parfois, les exer­cices donnent lieu à des dialogues comiques, même si la situa­tion simu­lée est drama­tique. Ce fut encore le cas lors d’une forma­tion nageur de bord et nombreuses victimes mari­times, ou Novi­mar, cet été, à la base navale de Cher­bourg. Quelques nageurs sont à l’eau, au milieu de la rade, autour d’un énorme ponton en acier rouillé. Sous l’œil inquiet de deux sternes qui surveillent leur nid, ils jouent, chacun leur tour, le rôle du nageur de bord qui s’ap­proche prudem­ment d’un groupe de sinis­trés. « Mais tenez donc votre collègue », lance un forma­teur, Laurent Caillot, patron de sortie de la station des Sauve­teurs en Mer du Havre. « Je ne peux pas, je suis incons­cient  », lui rappelle une fausse victime.

« Help », hurle une autre. « Take this, take this », lui répond le sauve­teur. Armé d’un rescue tube – bouée en mousse de forme allon­gée –, qui permet d’ha­bi­tude de cein­tu­rer une personne pour la rame­ner à terre, le nageur doit réus­sir à en récu­pé­rer trois. Il est aidé par un autre sauve­teur, qui tirera sur un filin accro­ché dans son dos une fois qu’il aura assuré ses trois « clients ». Évidem­ment, les naufra­gés, affo­lés, lui compliquent la tâche. Ils flottent visage dans l’eau pour les plus atteints, essayent de s’agrip­per à lui pour les plus paniqués. Les stagiaires sont bien équi­pés, en tenue de nageur SNSM pour la plupart : combi­nai­son Néoprène® pour proté­ger du froid et donner de la flot­ta­bi­lité, palmes par-dessus des chaus­sures (il est possible d’avoir à grim­per sur des rochers). Casque avec éclai­rage, masque et tuba, gants et le « gilet à malices » qui ajoute une flot­ta­bi­lité modé­rée, et aussi plein de poches et d’ou­tils, dont mousque­tons, lampe, couteau, etc. Pas de cein­ture de plomb comme un plon­geur. «  Vous êtes en flot­ta­bi­lité posi­tive », rappelle plusieurs fois Arnaud Banos, respon­sable de la forma­tion, notam­ment quand il va mimer les manières de se déga­ger sans violence d’une victime affo­lée et de l’at­tra­per par derrière pour la rame­ner. «  Ne paniquez pas s’ils vous enfoncent sous l’eau. »

Dans un sauve­tage, il faut gérer deux stress : celui des naufra­gés et celui des sauve­teurs, qui doivent assu­rer et rassu­rer. Arnaud leur a montré des vidéos de sauve­tages à problèmes en Médi­ter­ra­née, en poin­tant l’« effet tunnel » du sauve­teur stressé qui se téta­nise sur une seule tâche, une seule victime ou un seul ordre répété agres­si­ve­ment.

Arnaud Banos est repré­sen­ta­tif de ces béné­voles passeurs d’ex­pé­riences multiples. Univer­si­taire et cher­cheur basé au Havre, il est nageur de bord à la station locale, mais aussi forma­teur. Il repart bien­tôt pour plusieurs semaines en Médi­ter­ra­née comman­der les opéra­tions de sauve­tage sur un bateau de l’ONG Sea-Eye. Et nous le retrou­vons en tenue d’of­fi­cier de réserve à Cher­bourg. Cela faci­lite l’or­ga­ni­sa­tion d’une session comme celle-ci, qui est une recon­nais­sance de l’énorme effort de forma­tion des Sauve­teurs en Mer et de l’ex­pé­rience acquise par ceux de Manche et mer du Nord, qui ont été et sont en première ligne.

L’ac­qui­si­tion de l’ex­pé­rience

En Manche, ces dernières années, de nombreux migrants ont dû être secou­rus par les sauve­teurs en mer français et anglais, puis par tous les navires repré­sen­tant l’État en mer (la Marine natio­nale, les douanes, la gendar­me­rie mari­time, les Affaires mari­times et même deux navires affré­tés spécia­le­ment). Les stations locales, telles Dunkerque, Grave­lines, Calais, Boulogne-sur-Mer, Berck-sur-Mer, ont dû s’adap­ter, ainsi que le font toujours les sauve­teurs devant les situa­tions nouvelles.

« On abou­tit à des manières de faire qui ressemblent beau­coup à celles des ONG en Médi­ter­ra­née », constatent, à Dunkerque, Alain Leda­gue­nel, président de la station, et Olivier Ever­rard, patron suppléant et nageur de bord. « La taille des embar­ca­tions augmente. Aujour­d’hui, on doit parfois secou­rir cinquante ou soixante personnes d’un coup. » Quand les Sauve­teurs en Mer arrivent, l’un d’eux doit parler avec auto­rité, mais sans crier, et avec des gestes d’apai­se­ment. Il utilise quelques mots d’an­glais ou de toute autre langue s’il pense connaître le pays d’ori­gine des migrants.

Sur le canot tous temps SNS 087 Jean Bart II, pour contrô­ler la « porte d’ac­cès » des naufra­gés et limi­ter les désa­gré­ments du roulis, on amarre – si possible – le nez du pneu­ma­tique secouru sur l’ar­rière. Sur la plate­forme proche de l’eau, deux sauve­teurs encadrent le trans­fert un par un. Un ou plusieurs nageurs de bord sont à l’eau pour rassu­rer et repê­cher ceux qui tombe­raient. D’autres installent et récon­fortent les naufra­gés. Géné­ra­le­ment, les hommes sont assis dehors et les femmes accom­pagnent les enfants à l’in­té­rieur. « On emporte même des doudous pour rassu­rer les petits », souligne Olivier Ever­rard.

Le « mieux possible » n’est pas toujours réali­sable. En août dernier, obli­gés de prendre le long du canot un grand pneu­ma­tique impos­sible à amar­rer sur l’ar­rière, ils ont confirmé que… ce n’est pas idéal. « Cinquante personnes affo­lées et mouillées qui se préci­pitent toutes ensemble pour grim­per sur un canot, cela fait envi­ron 4 tonnes, qui ont dange­reu­se­ment enfoncé le navire dans l’eau d’un côté », évalue le président.

Et que faire si les victimes sont plus qu’une cinquan­taine ? si les autres navires de sauve­tage sont indis­po­nibles ou occu­pés ailleurs ? La logique serait de mettre des moyens de flot­ta­bi­lité à l’eau pour permettre l’at­tente. Elle est forma­li­sée pour les aéro­ports à proxi­mité de la mer. Celui de Nice, par exemple, dont les moyens nautiques propres seraient dépas­sés au-delà d’une certaine taille d’avion, a conclu une conven­tion avec trois stations de sauve­tage proches (Nice, Cros-de-Cagnes et Antibes), explique le délé­gué dépar­te­men­tal de la SNSM Olivier Troy. Celles-ci devraient, dans les plus brefs délais, embarquer des radeaux de sauve­tage gonflables stockés dans chacune d’entre elles afin de les larguer autour de l’avion, près des passa­gers en péril.

Les stations de Manche et mer du Nord, confron­tées aux limites de leurs navires, réflé­chissent, tentent des solu­tions : radeaux de sauve­tage pour la plai­sance péri­més, grands mate­las de flot­ta­bi­lité. Le président de la station de Dunkerque rêve d’em­bar­ca­tions pneu­ma­tiques remorquables (les radeaux de survie ne le sont pas). Chez les Sauve­teurs en Mer, les retours d’ex­pé­rience et les recherches de solu­tions nouvelles ne s’ar­rêtent jamais.

Article rédigé par Jean-Claude Hazera, diffusé dans le maga­­­­­­­­­­­­­zine Sauve­­­­­­­­­­­­­tage n°166 (4e trimestre 2023)